Dans ce second article[1], l’asbl ValBiom vous éclaire sur le potentiel de la forêt wallonne et sur les perspectives de développement et d’intégration d’une filière « chimie du bois » dans notre région. Avec un focus sur l’extraction forestière, basée sur les coproduits.
Une analyse[2] de Pierre-Louis Bombeck, chef de projet bois-énergie et chimie du bois chez ValBiom. L’analyse complète a été publiée dans le n°147 de la revue trimestrielle Forêt.Nature – Avril-Juin 2018.
Quels sont les acteurs déjà impliqués ?
Sans surprise, l’industrie papetière est celle qui s’intéresse le plus à la chimie du bois. Le déclin constant du marché du papier pousse cette filière à rechercher de nouveaux débouchés. La Confédération Européenne des Industries du Papier (CEPI) prévoit d’ailleurs dans sa stratégie 2050 une croissance de 3,5 milliards d’euros pour les produits biobasés issus de la filière papetière d’ici 2050 par rapport à 2010.
Les papetiers, déjà maîtres dans la déconstruction du bois et se focalisant principalement sur la cellulose, se tournent aujourd’hui de plus en plus vers d’autres constituants du bois. La filière possède déjà de bons atouts pour se diversifier : une logistique d’approvisionnement bien en place, des infrastructures de qualité, du personnel qualifié, une capacité d’investissements...
Parmi les grands papetiers internationaux qui misent sur la chimie du bois, on peut citer Tembec, SAPPI ou Borregaard. Ceux-ci et d’autres investissent pour convertir certains de leurs sites en véritables bioraffineries forestières, s’éloignant ainsi de l’unique activité de production de pâtes à papier. Ils s’orientent vers une chimie que l’on peut qualifier de « lourde », qui implique de grands volumes et une valeur ajoutée plus faible.
À l’inverse, d’autres acteurs sont orientés vers une chimie dite « fine ». Cette chimie cible des marchés de niche et se caractérise par la production de petits volumes mais à haute, voire très haute, valeur ajoutée. Parmi nos voisins, citons les suisses Horphag Research (avec le Pycnogenol, un antioxydant naturel extrait d’écorce de pin maritime) et Linnea (avec les lignanes HMR, extraites de l’épicéa et employées dans la pharmaceutique). L’italien Silvateam est actif dans les tannins industriels, tandis que le français Laffort est spécialisé dans les tannins purs, principalement à usage œnologique. Le français DRT est – quant à lui – actif depuis 1932 dans la valorisation des résines de pin maritime et des terpènes, avec aujourd’hui plus de 250 produits (parfumerie, adhésifs, compléments alimentaires, bitume biosourcé, etc.).
La Wallonie : eldorado pour la chimie du bois ?
En Wallonie, il est en réalité peu probable de voir se développer une chimie lourde issue du bioraffinage du bois. La structuration actuelle de la filière, les prix et la pression sur l’approvisionnement ne permettrait pas l’installation d’une nouvelle unité, dédiée spécifiquement au bioraffinage forestier, qui détournerait les flux de bois.
Une chimie du bois basée sur une valorisation de la cellulose, des hémicelluloses et de la lignine avec de grands volumes de produits pourrait éventuellement se développer si la seule usine de pâte à papier chimique wallonne (Burgo Ardennes à Virton) réorientait son activité. Mais cela ne semble actuellement pas leur priorité.
En revanche, un potentiel de développement existe pour une filière chimie du bois de type « chimie fine », orientée vers des marchés de niches et des produits à haute valeur ajoutée. Selon ValBiom, qui plaide et travaille au développement d’une telle filière en Wallonie, une chimie du bois wallonne pourrait se développer autour des extractibles forestiers.
Extractibles : le nouvel or vert wallon
Les extractibles se retrouvent dans tous les compartiments de l’arbre, à des concentrations différentes selon le compartiment, l’âge de l’arbre, ses conditions de croissances, etc.
Ce qui rend intéressante l’idée de développer une filière « chimie du bois » aboutie, c’est surtout le fait que les extractibles sont particulièrement présents dans les coproduits les moins valorisés de l’industrie du bois. A savoir : les écorces, les nœuds, les feuilles et les aiguilles. De plus, la Wallonie dispose de solides compétences dans le domaine de l’extraction au travers de ses universités, ses centres de recherche et ses entreprises déjà actives dans le secteur. Si les techniques d’extraction sont connues et maitrisées, le challenge reste bien présent lorsqu’il s’agit de purifier les extraits pour en sortir la ou les molécules spécifiques d’intérêts. C’est la même chose pour ce qui est de conférer de nouvelles propriétés à ces molécules, via ce que l’on appelle la « fonctionnalisation ».
Un autre intérêt de l’extraction forestière basée sur les coproduits est qu’elle ne détournerait pas forcement ces flux de connexes de leurs usages actuels. Cette nouvelle filière peut s’intégrer de manière harmonieuse dans la filière bois, en s’insérant dans la chaine de valorisation existante et sans nécessairement perturber la valorisation actuelle des coproduits. De cette manière, ces procédés constitueraient des étapes et des modules supplémentaires et bénéfiques. Ils se grefferaient aux processus existants sans empêcher ces derniers d’aboutir aux produits « classiques » de l’industrie.
Le cas des écorces illustre bien cette possibilité. Il s’agit certainement d’un des coproduits les plus faiblement valorisables actuellement, si ce n’est en énergie dans des chaudières spécifiques ou comme couverture de sol pour les parcs et jardins. Or les écorces contiennent un taux d’extractibles généralement supérieur à celui du bois. L’ajout d’une étape d’extraction pourrait s’envisager entre l’étape d’écorçage et celle de la valorisation énergétique. Extraire les molécules d’intérêt au lieu de les brûler apporterait donc une valorisation supplémentaire à ce connexe. Un connexe qui est d’ailleurs généré par l’ensemble des industries qui travaillent le bois rond.
L’intérêt pour la filière forêt-bois
Rappelons que de nombreux procédés de valorisation peuvent / visent à s’intégrer dans l’industrie de la première transformation du bois. Ces procédés constituent des étapes et des modules supplémentaires, se greffant aux processus existants et n’empêchant pas ces derniers d’aboutir aux produits classiques de l’industrie.
L’émergence d’une filière wallonne d’extraction forestière pourrait également apporter une piste de valorisation à certaines essences actuellement sous-exploitées, comme par exemple le bouleau dont l’écorce est riche en bétuline.
En élargissant les débouchés possibles, la chimie du bois pourrait également redynamiser certaines filières telles que le sciage de feuillus, dont les coproduits (écorces, sciures) deviendraient une nouvelle source de matière première pour la xylochimie.
Et maintenant ?
Au niveau mondial, la chimie du bois est une filière en plein essor, vers laquelle se tournent désormais aussi bien les industriels de la chimie que ceux du bois. Chez nous, au sein de cette « chimie du bois », le développement d’une filière des extractibles forestiers issus des coproduits de l’industrie du bois semble la voie de développement la plus pertinente à envisager et à étudier.
Encore faut-il pouvoir établir la faisabilité de l’émergence d’une telle filière wallonne. Quels sont les flux de coproduits mobilisables ? En quelles quantités ? Pour quelles molécules d’intérêts ? La demande est-elle au rendez-vous ? Existe-t-il une place sur le marché pour cette filière ? Autant de questions que se posent – aussi – nos voisins français. Ceux-ci travaillent déjà, au sein du projet ExtraForEst pour « Extractibles forestiers de l’Est », à la mise en place d’un outil d’aide à la décision sur la faisabilité de l’émergence d’une telle filière. ValBiom a d’ailleurs organisé en mars une première rencontre entre les acteurs français et wallons, désireux d’en savoir plus. Une certitude : tous ont démontré leur intérêt pour le sujet et souhaitent étudier la faisabilité du développement d’une filière des extractibles forestiers en Wallonie.
Lire la première partie de l’article.
Les débouchés et marchés potentiels
Théoriquement, les molécules issues du bois pourraient remplacer la quasi-totalité des molécules issues de la pétrochimie ou de la chimie de synthèse.
Voici une liste non-exhaustive des produits et applications possibles au départ des molécules du bois.
Plus d’infos ?
- Découvrez le projet français ExtraForEst – Extractibles forestiers de l’Est
- Consultez les ouvrages suivants :
- Hemicelluloses and Lignin in Biorefineries – par Jean-Luc Wertz, Magali Deleu, Séverine Coppée, Aurore Richel
- Chimie du bois – par Tatjana Stevanovic, Dominique Perrin (Presses polytechniques et universitaires romandes)
- Contactez notre chef de projet « chimie du bois ».
[1] A lire également : Chimie du bois : une filière d’avenir ? (Partie 1/2) - Retour aux sources, étude des principaux constituants du bois et aperçu des techniques de valorisations existantes. Une analyse ValBiom, réalisée avec le soutien de la Wallonie.
[2] Analyse réalisée dans le cadre de la convention cadre de ValBiom, BioMaSER, financée par la Wallonie.