Les plaignants, citoyens et ONG environnementales qui contestaient l’inclusion de la biomasse d’origine forestière dans la RED II, ont vu leur demande de recours jugée irrecevable par le Tribunal de l’Union européenne.
Retour sur cet épisode judiciaire
En décembre 2018, la nouvelle version de la Directive européenne (UE) 2018/2011 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, la RED II, était adoptée par le Parlement, la Commission et le Conseil européen. Parmi ses différents objectifs, cette Directive instaure des critères de durabilité pour l’ensemble des biocarburants, bioliquides et combustibles issus de la biomasse (article 29), qu’elle soit d’origine agricole ou forestière.
En mars 2019, un groupement constitué de citoyens et d’ONG de six pays (Estonie, France, Irlande, Roumanie, Slovaquie et États-Unis) avait déposé un recours devant le Tribunal de l’Union européenne (UE) pour contester l’inclusion de la biomasse d’origine forestière dans la RED II. La plainte saisissait la Cour de justice de l’UE en vertu de l’article 263 du Traité de fonctionnement de l’UE (TFUE). Les plaignants soutenaient que le fait d’inclure la biomasse forestière comme source d’énergie renouvelable violait l’article 191 du TFUE relatif à l’environnement, ainsi que certains droits fondamentaux inclus dans la charte des droits fondamentaux de l’UE. Ils affirmaient également que la prise en compte de la biomasse forestière dans la RED II nuisait à la réalisation des objectifs de celle-ci par « la quantité de carbone rejetée par la combustion de bois et de l’augmentation de l’exploitation forestière industrielle ». Les plaignants s’estimaient directement et individuellement concernés par l’inclusion de la biomasse forestière dans la Directive car ils feraient partie d’une catégorie limitée de personnes qui serait affectée par la déforestation et l’exploitation des centrales électriques utilisant de la biomasse forestière.
Cette notion d’actes les concernant « directement et individuellement » était un élément majeur du recours présenté par les plaignants contre la RED II, car c’était cette notion qui leur permettait de saisir le Tribunal de l’Union européenne en vertu de l’article 263 du TFUE. Or, dans sa décision du 6 mai 2020, le Tribunal a statué que la Directive attaquée, même en supposant qu’elle ait des effets négatifs sur les forêts ou l’exploitation des centrales électriques, ne mettait pas les plaignants dans une situation différente par rapport à l’ensemble des citoyens de l’UE. Les plaignants n’ayant dès lors pas la qualité pour agir en vertu de l’article 263 du TFUE, le Tribunal européen a accepté l’irrecevabilité du recours (soulevé par le Parlement et le Conseil, parties adverses de cette affaire) et l’a rejeté. Les plaignants envisagent à ce jour de faire appel de cette décision.
Ndlr : l’auteur de cet article n’étant ni juriste ni expert en matière de justice européenne, il convient au lecteur qui le souhaite d’approfondir les détails de l’affaire via les liens ci-dessous.
- Ordonnance du Tribunal européen – 06.05.2020
- La Directive 2018/2001 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (refonte) – 21.12.2018
- Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (version consolidée) – 26.10.2012
RED II et forêts, des craintes surévaluées
Fin 2018, les instances européennes approuvaient la révision de la Directive sur les énergies renouvelables, qui fixe les objectifs à atteindre à l’horizon 2030, pour aboutir à l’adoption de la RED II. Cette version révisée amende entre autres le volet « bioénergies » dans le but de mieux encadrer ce secteur. Elle fixe des exigences en termes d’origine durable de la biomasse et de niveaux de performance à atteindre en ce qui concerne l’économie de CO2.
Ces critères de durabilité sont une nouveauté par rapport à l’ancienne directive. Pour la biomasse d’origine forestière, ces critères imposent de respecter une série d’exigences, comme la régénération effective de la forêt dans la zone de récolte, la protection des zones humides et des tourbières, la protection des sols et de la biodiversité ou encore le maintien ou l’amélioration de la capacité de production à long terme de la forêt. De plus, les installations de grande puissance employant de la biomasse comme combustible pour produire de l’électricité, de la chaleur ou du froid, devront s’assurer de permettre une économie de CO2 d’au moins 80 % par rapport à des combustibles fossiles.
A l’approche de ce vote, un collectif de scientifiques avait exprimé le souhait que ce nouveau cadre plus contraignant aille encore plus loin en excluant la possibilité d’utiliser du bois rond pour produire de l’énergie. Leur crainte était que, sans cela, une utilisation déraisonnable des forêts apparaisse avec un impact négatif sur le cycle du carbone.
Suite à cette prise de position, les médias et certaines ONG se sont à l’époque appropriés le débat sous un angle polémique, prenant parfois certaines libertés par rapport au texte de la directive. Les arguments avancés affirmaient que, pour atteindre les objectifs d’énergies renouvelables, cette directive allait permettre et même encourager les états membres à faire usage des bioénergies de manière déraisonnée. Le danger avancé était que cet usage des bioénergies participerait à la déforestation et à un relargage massif et définitif de CO2. Or, ces craintes doivent être fortement relativisées.
Le bois-énergie est vertueux
Les scientifiques, auteurs de cette tribune, reconnaissent que l’utilisation du bois-énergie au départ de coproduits de l’industrie du bois et de résidus forestiers est vertueuse. Utiliser ce bois-énergie pour remplacer du combustible fossile permet de réduire les émissions de CO2. De plus, ce bois aurait de toute façon fini par se décomposer naturellement et relâcher le CO2 qu’il contenait.
Sa densité énergétique étant inférieure à celle du charbon, le bois émet plus de CO2 pour la production d’une même quantité d’énergie. Toutefois, une différence majeure réside dans la réversibilité du relargage de carbone : avec le charbon, les émissions sont irréversibles alors qu’avec le bois, le CO2 émis lors de la combustion sera capté de nouveau à condition que la forêt soit gérée durablement. Ce captage n’est certes pas instantané, mais aura lieu à une échelle de temps humaine, à l’inverse du piégeage du carbone en combustible fossile. De plus, cet argument de relargage massif ne tient la route que dans le cas d’un changement drastique du modèle de fonctionnement de la filière bois-énergie européenne, qui s’alimente aujourd’hui essentiellement en coproduits. Ce changement est peu plausible.
Le risque de dérives est peu probable
Le scénario catastrophe qui prédit que, pour atteindre les objectifs énergétiques européens, les états membres et les industries vont se ruer sur les forêts afin d’y couper et brûler quantité d’arbres entiers, est très peu probable pour plusieurs raisons.
- D’abord, il ne serait économiquement pas viable d’acheter des bois de qualité afin de les réduire à l’état de combustible. La valorisation de ces bois en bois d’œuvre est bien plus intéressante qu’en énergie. En Belgique, les prix de vente en tant que bois d’œuvre sont 3 à 8 fois supérieurs à ceux d’une qualité bois-énergie (hors épicéas scolytés et avant la crise du covid-19). Il ne serait alors pas concurrentiel de payer ce prix élevé pour destiner ces bois à la production d’énergie. Par ailleurs, les marges bénéficiaires ténues et le prix stable du bois-énergie contrecarrent l’idée d’un débouché énergétique constituant une poule aux œufs d’or.
- Ensuite, durant ces quinze dernières années en Europe, la part d’arbres récoltés en forêt directement destinés au bois-énergie est restée stable (+/- 20 %, selon la FAO/UNECE et Eurostat) alors que la consommation européenne de bioénergies a doublé sur cette même période. Une meilleure gestion des résidus et d’autres formes de bioénergies a participé à ce résultat. C’est donc bien le prix du bois-énergie qui a et va garantir le maintien de cette proportion, et non pas une régulation sévère de son usage.
- Enfin, le risque de devoir faire appel à une importation massive de biomasse forestière non-européenne pour atteindre ces objectifs d’énergies renouvelables est lui aussi assez faible. D’abord car la forêt européenne est en croissance (+ 322.800 hectares chaque année entre 2010 et 2015, selon Eurostat). Ensuite, parce que l’import ne représente actuellement que 4 % de la consommation européenne de biomasse.