Greenwin organisait le 28 novembre 2023, le Challenge de la Construction en partenariat avec Buildwise et Embuild Wallonie. Il s’agissait du premier volet d’un rendez-vous donné à tous les acteurs de la construction belge, pour réfléchir notamment sur la rénovation des bâtiments à grande échelle, accélérée et qualitative.
Compte tenu des objectifs internationaux, la Wallonie a prévu de réduire ses émissions de gaz à effets de serre de 80 à 95 % d’ici 2050 par rapport à 1990. Or, la rénovation énergétique du bâtiment constitue un maillon clé de la réduction de ces émissions. Elle vise à constituer un parc immobilier à haute efficacité énergétique et décarboné d’ici 2050, en assurant aux occupants des espaces sains, confortables, au service des activités qu’ils y mènent. La rénovation énergétique à long terme du bâtiment contribue également aux objectifs de la Région wallonne, dont les enjeux sont liés à l’emploi, la santé, la pauvreté, la compétitivité des entreprises et la protection de l’environnement.
A l’occasion de cet évènement, Valbiom a été sollicité pour animer un panel portant sur la place du biosourcé dans la massification de la rénovation wallonne et les obstacles à son déploiement. En termes d’obstacles, les questions de capacité de production et de coût des matériaux s’imposèrent rapidement. La Wallonie est-elle réellement capable de produire des quantités significatives de matériaux de construction biosourcés et leur prix est-il compétitif par rapport aux autres matériaux ? Si ces questions semblent évidentes, les réponses le sont nettement moins.
En partenariat avec Filière Bois Wallonie et le Cluster Eco-construction, nous avons mené notre enquête et nous sommes rapidement rendu compte que ces aspects n'avaient encore jamais été chiffrés pour la Wallonie. Difficile de savoir exactement le nombre de bâtiments à rénover en Wallonie, leur taille, le type d’isolation à considérer et la capacité de production en matériaux biosourcés des entreprises wallonnes. En résumé, quand on parle du besoin de rénovation du bâti wallon, de quels nombres, de quels volumes et de quelles quantités parle-t-on ?
Pour arriver à une réponse chiffrée, nous sommes partis des statistiques de Statbel de 2023 et d’enquêtes socio-économiques menés par la Direction générale statistique et information économique (DGSIE) – SPF Economie en 2001, de l’enquête-qualité de la Direction générale de l’aménagement du territoire, du logement et du patrimoine datant de 2007 et de la stratégie de rénovation énergétique à long terme du bâtiment acté par le gouvernement wallon le 12 novembre 2020.
Hypothèses de travail
L’analyse qui va suivre est conditionnée par de nombreuses hypothèses qui pourront évoluer si cet indice devait être utilisé à des fins plus précises. Ces hypothèses sont assumées et se basent sur une analyse fine du bâti wallon et des solutions mises en œuvre préférentiellement.
1. Restriction au parc immobilier résidentiel
Pour cette étude, nous n’avons considéré que la rénovation du parc résidentiel, soit les maisons unifamiliales et les appartements. En effet, d’après une étude du SPW et de l’Agence wallonne de l’air et du climat (AWAC) en 2017, même si les bâtiments tertiaires devront aussi être rénovés, la consommation énergétique et les émissions de GES liées au résidentiel sont bien plus importantes.
2. Qualification du bâti wallon
Pour qualifier le nombre de bâtiments à rénover, nous nous sommes basés sur les informations de Statbel ainsi que sur le taux d’isolation en fonction de l’année de construction issu de l’enquête qualité 2007 de la Direction générale de l’aménagement du territoire, du logement et du patrimoine (DGATLP). Les paramètres calculés donnent le nombre de maisons à rénover par type d’habitation (4 façades, 3 façades, mitoyennes et appartement), par rapport à l’année de construction et par surface au sol. Ceci nous a permis de calculer la surface de murs et de toits à isoler pour atteindre la réfection des bâtiments à l’horizon 2050.
3. Taux d’isolation
Pour calculer le volume d’isolant par habitation, nous nous sommes basés sur les coefficients de résistance thermique à atteindre pour prétendre aux primes de la Région wallonne, soit :
Pour l’isolation des murs, trois modèles d’isolation ont été retenus : bloc de chaux-chanvre (36 cm), matelas isolant (16 cm) et insufflation en vrac (16 cm)1. Lors de la quantification, l’utilisation de l’un ou l’autre modèle est fonction du type de maison (4 façades, 3 façades, mitoyenne ou appartement) ainsi que de la surface au sol.
Pour l’isolation du toit, nous avons postulé que pour la moitié des chantiers, ce sont les planchers des combles perdus qui sont isolés tandis que pour l’autre moitié, ce sont les pans de toiture qui bénéficient d’une isolation. Deux modèles ont été documentés : matelas isolants (20 cm) et insufflation en vrac (20 cm).
4. Quantification du bois
Le bois nécessaire à la mise en œuvre de chaque modèle d’isolation étudié précédemment a été quantifié à la fois pour la pose de l’isolant (contre-cloison, lattage), mais aussi pour le bardage lors d’une isolation par l’extérieur.
Résultats de l’analyse
Sur les 1.371.488 bâtiments résidentiels que compte la Wallonie, les murs de plus de 66 % doivent être isolés. On considère aussi que les toits de 48 % des bâtiments ne correspondent pas aux normes d’isolation prévues par la Région wallonne2.
En prenant en compte les hypothèses citées ci-dessus, la surface annuelle de murs à isoler est de 5.890.000 m², soit 589 hectares !
En termes de volumes, considérant les épaisseurs à mettre en œuvre pour atteindre les coefficients d’isolation prévus par la Région wallonne, près d’1,5 millions de m³ d’isolants biosourcés doivent être posés annuellement à l’aide de 138.000 m³ de bois de structure et de 15.000 m³ de bois de bardage, d’ici 2050.
Nous avons contacté les producteurs d’isolants biosourcés actifs en Wallonie pour compiler les volumes de production déjà disponibles et leur marge de progression. En 2023, les unités de production ont déjà fourni 615.000 m³ d’isolants biosourcés soit 42 % des besoins totaux de la rénovation : principalement à partir d’ouate de cellulose, d’herbe, de mélange chaux-chanvre et de laine de moutons. Et le plus encourageant, c’est que ces entreprises ne sont pas à leur optimum de production et pourraient monter à plus de 85 % des besoins en matériaux isolants rapidement.
Concernant le bois de structure et de bardage, la Wallonie produit plus d’1 million de m³ de bois de construction dont 61% sont exportés. Dès lors, les 138.000 m³ nécessaires à la mise en œuvre de la rénovation énergétique ne rentrent nullement en concurrence avec le secteur de la construction bois existant et ne représentent donc qu’une vingtaine de pourcents de la quantité de bois exporté. Concernant le bardage, si actuellement la majorité du bois de bardage est importée, des solutions locales en bois feuillus existent. Dans l’hypothèse où la totalité du bardage est réalisée en feuillus, la quantité de bois nécessaire, soit 14.500 m³, représente 20 % du volume disponible.
Défis à la mise en œuvre…
Les produits biosourcés constituent une formidable opportunité pour la décarbonation du secteur de la construction et nous n’avons ici évoqué que les matériaux utilisés pour la rénovation des bâtiments résidentiels… et uniquement autour du défi thermique. Comme nous passons plus de 90 % du temps à l’intérieur, les bâtiments doivent être plus qu’efficients énergétiquement. Ils ont un effet indéniable sur le confort, le bien-être et la santé ! C’est connu, l’air intérieur est souvent bien plus pollué que l’air extérieur. Cette pollution est liée aux matériaux de finition, directement accessibles mais pas uniquement : qu’il s’agisse de composés organiques volatiles (COV) ou de la présence de champignons due à une mauvaise régulation de l’humidité, les isolations pétro-sourcées classiques nécessitent une ventilation mécanique efficace pour éviter les pollutions intérieures et les effets néfastes sur la santé des occupants et professionnels en charge de leur pose. A contrario, les isolants biosourcés sont reconnus pour leurs capacités à réguler l’humidité, pour l’absence de plastifiants et de solvants et pour la faible quantité de COV dont ils sont composés.
Nous l'avons vu dans l’analyse, les produits biosourcés wallons sont disponibles : la part que ces produits pourraient prendre sur le marché ne dépend que de la demande. A l’heure actuelle, les entreprises sont capables de doubler leurs productions. Il est important de noter qu’à ce jour, la fibre de bois constitue la majorité des isolants biosourcés employés en rénovation (qu’il s’agisse de matelas de fibres de bois flexible ou de panneaux rigides utilisés en isolation extérieure en lieu et place des plaques de polyuréthane couramment utilisées) mais que cette solution n’est pas produite en Belgique.
Lors du « Challenge de la construction », nous avons interrogé les participants au panel, issus d’entreprises du secteur, sur les raisons, selon eux, de la frilosité à l’utilisation de solutions biosourcées. Les réponses peuvent être divisées en deux grandes catégories, relativement interdépendantes :
- La résistance au changement liée au manque de connaissances de la part des candidats rénovateurs mais surtout des architectes ou des entreprises spécialisées ;
- Les raisons plus techniques, principalement : le coût, l’encombrement et les normes urbanistiques.
Résistance au changement
La résistance au changement est un paramètre largement évoqué lors du « Challenge de la construction » et qui concerne plus largement tous les secteurs en transition. Cette résistance intervient à tous les niveaux : les architectes sont peu formés à l’utilisation d’éco-matériaux, seules certaines entreprises de construction se spécialisent dans la mise en œuvre du biosourcé et le grand public n’est pas toujours au courant des alternatives possibles aux techniques plus courantes. La meilleure réponse reste l’éducation, la démonstration et l’exemplarité.
Le manque de connaissances de la part du grand public et des professionnels concerne plusieurs aspects :
- Les avantages à l’utilisation des matériaux biosourcés sur la qualité de vie au sein de l’habitation (qualité de l’air intérieur, déphasage thermique, régulation hygrométrique, capacités insonorisante…) mais aussi les avantages environnementaux liés au faible impact environnemental lors de leur production, de leur fin de vie et de leur transport.
- La mise en œuvre : quelles techniques utiliser et dans quelles conditions ? De nombreux entrepreneurs peu familiers des éco-matériaux surévaluent les risques liés au placement et gonflent leurs devis. Pourtant, dans la plupart des cas, la pose est identique aux isolants pétrosourcés classiques. La différence de devis ne devrait porter que sur la seule différence de prix du matériau.
Coût
Le coût des isolants biosourcés est en partie conditionné par le manque de production actuelle. Force est de constater que les entreprises n’ont à ce jour pas atteint leur optimum de production, engendrant de facto des coûts intrinsèques élevés. Le surcoût actuel est à comparer à l’enveloppe globale des frais de rénovation et des gains de la qualité de vie qui en découleront à moyens termes.
La Région wallonne prévoit une majoration des primes octroyées lors du recours à des matériaux biosourcés en cas de travaux de rénovation. Les conditions sont consultables sur le portait de la Wallonie : consulter les conditions.
Encombrement
Selon une autre idée répandue, les éco-matériaux isolants prendrait plus de place que les isolants conventionnels. Il n’en est rien dans l’immense majorité des cas.
Voici les données : le coefficient de conductivité thermique d’un matériau (lambda λ) caractérise sa capacité ou non à transférer la chaleur au travers une paroi par conduction. L’épaisseur de l’isolant détermine son coefficient de résistance thermique (R), soit sa capacité à résister aux variations de chaleur. A l’inverse du lambda, plus le coefficient de résistance thermique (R) est élevé, plus le matériau est isolant.
Dans ce cas, quelle épaisseur un isolant doit-il avoir pour obtenir un coefficient de résistance thermique (R) donné ?
Par exemple, dans le cas de l’isolation des murs, la Région wallonne accorde une prime si le coefficient de résistance thermique (R) est supérieur ou égal à 4 m²K/W. Compte tenu du lambda des matériaux ci-dessous, pour atteindre ce coefficient (R) l’épaisseur d’isolant à installer est la suivante :
- Ouate de cellulose : 16 cm
- Chaux-chanvre : 36 cm
- Laine de mouton : 16 cm
- Matelas d’herbe : 16 cm
- Laine de bois : 16 cm
- Fibre de bois : 16 cm
- Polyuréthane : 13 cm
- Laine de verre : 15 cm
- Laine de roche : 16 cm
On le voit, mis à part le mélange chaux-chanvre, les isolants biosourcés ne nécessitent pas d'épaisseur supplémentaire par rapport aux autres types d'isolants. A épaisseur égale, ils offrent une performance thermique égale.
Défi urbanistique
Cette question de l’épaisseur se pose essentiellement à propos de la réglementation urbanistique. L’isolation des murs par l’extérieur engendre une augmentation de l’épaisseur des murs donc du volume du bâtiment. De même, l’isolation de toiture par l’extérieur entraîne une augmentation de la hauteur et du volume du bâtiment. Et ce quelle que soit la nature du matériau utilisé, comme nous venons de le démontrer.
Quand on analyse l’histoire du bâti et de l’urbanisme, toutes les époques ont connu leurs tendances et des modifications profondes du bâti existant. Le passage des constructions en bois aux maisons en pierre au début du Moyen Age, puis, de la pierre à la brique plus récemment ou la vague reconstruction rapide après la deuxième guerre mondiale, ne sont que le résultat d’évolutions techniques qui répondaient aux exigences sociétales de l’époque. Le défi de rénovation du bâti pour réduire considérablement l’empreinte carbone des habitants ne constitue-t-il pas une réponse aux exigences sociétales de notre époque ? Le considérer comme tel et proposer une adaptation spécifique des exigences urbanistiques en résonnance avec les contraintes actuelles permettrait de maintenir le patrimoine immobilier et de l’adapter aux défis sociétaux actuels.
Conclusion
Si elle nécessite d’être affinée, cette analyse a le mérite de mettre en lumière les capacités de production de solutions biosourcées en Wallonie pour contribuer à l’objectif de rénovation énergétique de l’ensemble du parc immobilier wallon d’ici 2050.
Menée par 18 entreprises capables de produire aujourd’hui 615.000 m³ d’isolants biosourcés, la filière wallonne peut rapidement en fabriquer 1.225.000 m³ par an, soit couvrir 85% des besoins en isolation.
Le Plan Air Climat Energie 2023 ratifié en mars 2023 montre des intentions claires pour la Wallonie en faveur de l’éco-construction, entre autres par le soutien aux éco-matériaux et au développement de filières. Les actions concrètes mises en place par la Région wallonne dans le cadre du Plan de Relance vont aussi dans ce sens (plan Cigogne pour la mise en œuvre des matériaux biosourcés pour l’isolation à hauteur de minimum 60 % des parois dans les crèches, la construction d’un éco-centre pour déployer l’offre de formations en éco-construction, la majoration de 6 à 8 % pour les matériaux biosourcés dans les appels à projets UREBA, la promotion du Label "Produit Biosourcé"…)
Fort de ses acquis et de ses nombreuses réalisations exemplaires depuis 20 ans, le secteur des éco-matériaux est aujourd’hui un secteur de pointe. Mais il est prêt à poursuivre son développement pour contribuer aux efforts fixés par les autorités régionales, nationales et européennes. En concertation avec les acteurs du secteur, cette analyse permet également de pointer du doigt les principaux défis auxquels ces solutions font face. La filière en pleine croissance a besoin d’ambassadeurs, d’éducation, de démonstration et d’exemplarité. La majorité du chemin n’a-t-elle pas déjà été parcourue ?
1 Ces trois solutions peuvent être mises en œuvre en isolation par l’extérieur, l’intérieur ou l’espace existant dans le mur sans influence sur la quantité d’isolant et de bois nécessaires.
2 Informations issues de l’enquête qualité 2007 de la DGATLP.
Sources :
Enquête sur la qualité de l’habitat en Région wallonne 2006-2007. Ministère de la Région wallonne, Direction générale de l’Aménagement du territoire, du Logement et du Patrimoine, Division du Logement
Enquête socio-économique de 2001. Service public fédéral Economie, PME, Classes moyennes et Energie – DGSIE (Direction générale statistique et information économique)
Stratégie wallonne de rénovation énergétique à long terme du bâtiment. 2020. Service public de Wallonie - Département de l’Energie et du Bâtiment durable, Direction des bâtiments durables
Etat du secteur du sciage en Belgique en 2021. Hout info Bois
Visuel d'illustration : @Woolconcept
Cluster Eco-Construction et la Filière Bois Wallonie et avec l'aimable participation de CORENOVE
Analyse réalisée en collaboration avec le